lundi 29 mars 2010

Les sautereaux se touchent !

Conséquence nette de l'inclinaison du sommier vers l'arrière de l'instrument, le registre avant n'est plus vertical, il s'incline vers l'arrière, et les sautereaux ont tendance à se toucher en haut, surout dans les aigus.
Alors que la distance entre les sautereaux à la base est d'au moins 6mm, quand on actionne la touche, il ne reste par endroit qu'un mm entre les hauts des sautereaux; certains même se coincent !


Déformation du contre-sommier.

Jusqu'ici, je n'avais prêté attention qu'à la déformation de l'échine, en bas du contre-sommier. Maintenant que l'instrument est sous-tension depuis plus d'une semaine, j'ai examiné plus attentivement la déformation du haut du contre-sommier sous la poussée horizontale de la table.


On voit très nettement que le haut du contre-sommier est déformé, et poussé d'environ 2 mm vers l'avant de l'instrument, produisant une amorce de fente, favorisée par une vis de fixation du contre-sommier sur le montant et située à cet endroit.

Mais ce qui me frappe, c'est le vide de 7 mm existant entre le montant du support du sommier et le haut du contre-sommier. La partie haute du contre-sommier ne descend pas jusqu'au montant du châssis, se privant par là d'un point d'appui supplémentaire pour s'opposer à la tension des cordes. Cette partie haute est ainsi "flottante", collée à la partie basse du contre-sommier, mais sans aucun appui sur les montants latéraux.

Vérification faite sur le plan et le montage de "A Tempo giusto", sur ce dernier la partie supérieure du contre-sommier descend bien jusqu'au montant latéral.

Erreur ou montage original de Grimaldi ?

On verra plus tard, car j'ai commandé le plan du Grimaldi 1697 du musée de Nüremberg, plan qui a servi à de nombreux facteurs pour faire des italiens "longs", et sans doute utilisé par le facteur original de cet instrument.

De ce fait, la table s'est avancée dans la fosse de 2mm, contribuant ainsi à "serrer" les registres.
Pivotement du sommier et avancée de la table contribuent à fermer la fosse par le haut !


Dernières remarques : l'équerre de rappel du contre-sommier sur le fond semble légèrement décollée dans le haut, ce qui semble logique vu la déformation.

Enfin, je n'observe pas de "raidisseur" du contre-sommier (côté table) comme sur "A Tempo giusto".

lundi 22 mars 2010

La déformation de la caisse

En ayant mis l'instrument sous tension sur mon établi depuis 48h, j'observe que le bombement longitudinal du fond s'est amplifié par rapport à la situation "hors tension". On voit très nettement l'avant se relever d'environ 12 mm. Le point d'inflexion se situe au niveau du contre-sommier.


De la même façon, l'instrument est cintré en creux sur la largeur. En mettant une régle horizontale sur le bord du clavier, je mesure 6mm de flèche ....


Ces deux constatations m'amènent à penser que le fond est très déformé sous la tension, tant sur la longueur que sur la largeur. L'instrument ne tient pas l'accord, et j'ai l'impression que plus on attend, plus l'instrument se tord longitudinalement et transversalement.

J'ai alors eu l'idée de mesurer l'écart de l'échine avec le contre-sommier, à l'endroit du "trépannage". Bien m'en a pris !
En trois jours, et avec une tension qui est loin d'être nominale (en gros, La3 à 375 Hz), l'échine s'est éloignée à 3,5 mm au lieu de 2 mm quand l'instrument était "hors tension".




Ceci prouve que sous l'effet du bombement de l'instrument de l'avant vers l'arrière, un effort important longitudinal a porté sur l'échine, qui est mince (3,5mm) provoquant son flambement et son décollement du contre-sommier. Voila l'origine de la "bulle" de l'échine.

De plus, maintenant, les registres sont bien serrés ... et côté échine, la fosse s'est réduite à 37 mm.

Je remarque aussi que le cintrage en largeur a fait décoller la moulure de finition du sommier sur le bord de la fosse.

Il est clair que la tension des cordes a fait se déformer cet instrument, tant dans le sens de la longueur, provoquant la "bulle" observée sur l'échine, que dans le sens de la largeur.

Cela revient à dire que le fond n'a pas résisté à la tension, ce qui est capital dans un italien. Il est possible qu'un bois insuffisamment sec ait pu provoquer un retrait longitudinal et transversal, amplifié alors par la tension des cordes. L'absence de raidisseur sur le fond, à l'avant, a permis son cintrage transversal d'autant qu'une table d'harmonie dont les fibres sont à 27° de l'échine transmet un effort transversal plus important qu'une table à fibres parallèles qui alors travaille "en compression".



Conclusions : contrairement à ce que l'on peut penser, les éclisses participent à la structure de l'instrument. En particulier, l'échine agit comme raidisseur du fond. Si cette éclisse est trop mince, elle "flambe", et l'instrument se déforme d'une manière irrécupérable.

Pour l'avenir, je me propose donc, si je refais un tel instrument de grande longueur descendant à GG, de :
1) de mettre un raidisseur transversal, à l'avant, sur le fond
2) de mettre des éclisses plus épaisses (5 mm comme sur "A tempo giusto", voire 6mm sur l'échine)

A suivre ...

samedi 20 mars 2010

La seconde réparation

J'ai examiné plus en détail la fixation du sommier sur ses montants. Il est clair que c'est une réparation d'un sommier qui s'était décollé ou déformé; il est impensable que ce soit le montage initial.
Mais c'est une réparation très aléatoire, car le sommier ne repose pas sur ses montants, sauf au niveau de la cale et sur le devant. Cette "cale" n'est même pas taillée à la largeur du montant, et elle déborde.
A quoi sert cette cale de 2 mm ? Pour pencher un peu le sommier vers l'avant ? Un problème de cote des cordes au niveau des registres ? Un cintrage du sommier ? A voir ...


Quoi qu'il en soit, après avoir mis l'instrument sous tension (au "pitch" à 392 Hz pour l'instant), l'observation de la fixation côté droit montre une légère fente de la cale de bois.


J'ai relevé le plan de cordage (diamètre des cordes et 4 longueurs par octave sur les cordes longues), et calculé la tension globale de l'instrument. On tourne aux environs de 510 Kgf à 415 Hz, et 570 Kgf à 440 Hz. Les 6 cordes basses (de BB à GG#) absorbent 24% de la tension globale; ces cordes sont montées en laiton rouge de 0,025 pouces, soit 0,63 mm.
Dans les aigus, les cordes sont en acier de 0,008 pouce (0,2mm).
La tension maximale dépasse les 12Kgf pour AA, alors qu'elle est de l'ordre de 2 Kgf dans les aigus.


Enfin, sur cette photo de détail, on voit que l'échine est constituée, dans sa partie haute, de 4 pièces : deux moulures, l'éclisse de 3,5 mm et une autre pièce de bois vers l'intérieur qui s'arrête au niveau de la table d'harmonie. Mais cette partie haute, collée à l'éclisse mais pas sur la table, a tendance à fléchir l'éclisse au niveau de la table. Ceci est la cause de l'évasement du haut du clavecin, et forçe à verrouiller le chapiteau avec des clavettes.

A suivre ...

jeudi 18 mars 2010

La preuve d'une réparation ...

La nuit porte conseil ! Et la photo est très utile !

En regardant attentivement la photo du message d'hier, je me suis aperçu qu'il y avait un changement de grain dans l'échine, près du trou de la fosse. L'oeil est souvent attiré par un détail très visible (la "bulle" de l'échine) et on passe à côté d'un élément moins visible, et pourtant important.
Effectivement, on voit que l'on a rajouté un bout d'éclisse, depuis la lumière pour sortir les registres, jusqu'à la volute près du clavier.


La largeur de ce rajout est égal à la hauteur du trou fait dans l'éclisse.

Il est donc clair que ce clavecin a déjà subi une première réparation, suite sans doute à un serrage des registres dans la fosse (maladie congénitale des italiens si l'on n'y prend pas garde). Pour libérer de ce serrage, il a fallu percer l'échine comme on voit sur la photo, et cette opération a du être faite en découpant une partie de l'échine depuis l'avant pour faire apparaître le "trou"; puis reboucher avec un morceau de bois adéquat, tiré d'une autre planche, et avec un autre aspect.

Mais, mesures prises, cette découpe est faite bien entendu sur toute la hauteur du sommier, et fragilise l'échine à ce niveau là s'il y a un effort transversal sur le sommier, puisqu'il est simplement posé, et mal collé sur ses montants (cf premier message). C'est d'ailleurs le lieu du premier défaut, visible au bout de l'échine avant le début de l'autopsie.


Les registres ont du être bien rabotés, car maintenant ils font chacun 17 mm de large, et la fosse 40, laissant un jeu de 6 mm. Trois pièces de feutres sont collés sur un des registres pour éviter un frottement bois sur bois. De plus, le clavecin étant depuis plusieurs années "hors-tension", le sommier montre un aspect normal, sans flèche ni déformation.
J'envisage de le remettre "sous-tension" puisqu'il est encore cordé.

A suivre ...

mercredi 17 mars 2010

Trépannage de l'échine

Attaquons donc maintenant l'analyse de ce qui saute aux yeux sur l'instrument, à savoir la "bulle" dans l'échine au niveau du contre-sommier (en anglais "belly-rail").

Nota : le trou que l'on voit ci-dessous est une lumière pour insérer ou sortir les registres; en principe les clavecins italiens n'en ont pas, contrairement aux français qui en ont une à cet endroit, mais plus petite, ou les flamands qui l'ont eux sur la joue. Il faudra voir si cette lumière est d'origine ou a été faite après réparation (du serrage des registres par exemple), et si cette découpe a pu fragiliser l'échine.



Avec un cutter et un ciseau à bois, j'ouvre .... l'échine; c'est assez facile. Le bois semble être du sapin (ou du pin ?) et l'épaisseur de l'éclisse est de 3mm.


On voit immédiatement qu'entre le contre-sommier et l'échine, il y a ..... du vide !

L'échine a donc été "poussée" et décollée, puis tout s'est remis à sa place, mais la bulle dans l'échine a "mémorisé" l'événement. Car si on remettait une échine, plate, contre la belly-rail, l'instrument serait parfait !!
On a donc eu une déformation "élastique", comme un aller-retour, mais sans qu'on en sache la vitesse (lente, rapide = choc ?).
Et comme pour les premières constatations sur le sommier (voir mon premier message dessous), l'effort a été transversal, de droite à gauche.

Avec un réglet je mesure la distance entre la face intérieure de l'éclisse et l'extrémité du contre-sommier; verdict : 2mm. Ce n'est pas rien !

Quelle force a pu pousser le chassis sur l'échine, et la déplacer, et la décoller à cet endroit sur 2 mm ? C'est la question !

Comme au Cluedo, on peut envisager divers coupables :
- la composante transverse de la tension des cordes ?
- de fortes variations hygrométriques ?
- un effort longitudinal le long de l'échine provoquant un flambage en ce point ?
- une chute ?
- autre ?
Pour l'instant, je ne privilégie aucune piste ! Il faut sonder et analyser ailleurs.

A suivre ...

lundi 15 mars 2010

Le clavier.

Parlons du clavier. Ce sera fait, et on n'y reviendra pas, car ce n'est pas là le principal défaut de l'instrument.

Le chassis du clavier est fait de hêtre, en assemblage à mi-bois. Le clavier comprend 56 touches, depuis le Sol grave (Sol 0 ou GG) jusqu'au ré suraigu (Ré 5 ou d'''), en échelle chromatique. Les touches sont en tilleul (ou peuplier ?), les marches plaquées merisier (?), et les feintes plaquées ébène. Des arcades "à la parisienne" décorent le fronton des touches. Le module de l'octave est standard : 16,2 cm


Les mortaises de balancement sont du type "industriel" (ou piano); plus rapides à faire que mes mortaises "à l'ancienne", où il faut prendre sont temps pour les ajuster et faire que ça balance sans frottement sur la pointe. L'équilibrage est bien fait, par évidage du bois sous la touche, en général à l'avant de la touche. Je n'ai vu aucun plomb.



C'est certainement un clavier très agréable à jouer. Les feintes, qui ont les deux faces parallèles, sont posées à l'anglaise, c'est à dire en descendant légèrement vers l'arrière. Montage pas du tout italien ....
Le rapport de balancement avant/arrière est aux environs de 14/20, donnant un léger bras de levier de 2/1 au niveau de la touche.



Le bout de touche est en montage à l'italienne, avec une petite languette de bois qui coulisse dans un peigne (ou diapason). Mais là, surprise : le peigne est en isorel !


Curieux ! D'habitude c'est une pièce de bois. A moins que l'isorel n'ait été choisi pour un moindre bruit lors du frottement de la languette de bois.

Les retouches des bouts des touches 2 et 3 (visibles sur la photo) posent question, à moins qu'un sautereau ne s'y soit coincé. De toutes façons, le positionnement du clavier dans l'instrument est quelque peu problématique. Pour avoir les sautereaux au milieu des bouts de touche, ce qui est très souhaitable, il faut décaler de 3mm le clavier vers la droite, par rapport à la position centrée. De ce fait, l'entretoise de transposition qui fait 13,5 mm, est à l'aise à gauche, mais on ne peut en mettre une à droite, car il ne reste que 10mm.... D'ailleurs, je n'ai récupéré qu'une seule entretoise de transposition.

Il est vrai que la géométrie clavier/registre/corde est très exigeante. Le positionnement des cordes détermine la position du sautereau, et donc celle du clavier. Tout écart par rapport au dessin est sanctionné; ici, de 3 mm.

A suivre ...

dimanche 14 mars 2010

Premiers regards sur le défunt ...

J'ai récupéré aujourd'hui l'instrument qui sonnait autrefois dans sa magnifique caisse décorée, et je l'ai posé sur la table d'autopsie, c'est à dire sur mon établi.


La première chose qui saute aux yeux, c'est l'aspect de l'échine, près du sommier. Elle est bombée et déchirée, tant au niveau du sommier que du contre-sommier. Quelle force a provoqué ce déchirement, et pourquoi. C'est la question que je me pose !




Alors, la première chose à faire, c'est d'enlever toute la mécanique : les sautereaux, puis les registres, le clavier. Tout cela peut éventuellement resservir.
Je prends aussi les dimensions du fond (longueur, largeur, épaisseur) : 245 * 88 cm pour le fond. Le fond est en sapin, non sans doute en épicéa; il est épais (17 mm), mais il est fendu à 27 cm de l'échine, bombé en creux (+2mm) à l'endroit de la fente et surtout je remarque qu'il manque sur le devant une planche transverse qui agit normalement comme un raidisseur.
Quand j'examine comment est fixé le sommier (en hêtre), une surprise m'attend, et de taille. Le sommier est simplement posé sus ses montants, au lieu d'être assemblé à mi-bois avec les montants. De plus, une légère cale de 2 mm a été insérée à l'avant, sans doute pour rattraper une cote défectueuse. De ce fait, le sommier ne colle pas très bien aux montants, c'est le cas de le dire. C'est aussi vrai à gauche qu'à droite.


De plus, l'assemblage, pour consolider le sommier sur ses montants, relève du plus pur bricolage ! Ce n'est pas cette patte de laiton fixée avec deux vis qui va transmettre aux supports du sommier tout effort transversal ! Pour un effort vertical, oui, mais transversal non; la patte tournera dans l'axe de la vis du bas. En tout cas, ce n'est pas XVIIème siècle

Je pense que je tiens là une première piste, qui n'est pas en soi la cause, car il faudra trouver à quoi est due cette force endogène transversale : rétractation du fond ? Dilatation du sommier ? autre ?
Les mesures de la largeur montrent qu'au niveau du sommier la largeur est celle du fond augmentée de 4 mm. Une paille ! Les murs partent en V !!!! Et les éclisses, très fines (3,5mm) sont déchirées. La joue est bombée, elle aussi. Quelle pitié !